Battre le fer en temps de pandémie

La Belgique sort très prudemment d’une longue période de confinement. Mais pour certains professionnels, le recours au télétravail est tout simplement impossible. C’est notamment le cas des maréchaux-ferrants. Parmi ceux-ci, Franck Lemye, qui a légèrement modifié ses conditions de travail pour continuer le parage et le ferrage des chevaux. Ou encore Didier Thiebaut, professeur à l’école de maréchalerie de Libramont, ostéopathe équin et maréchal-ferrant expérimenté, qui a décidé de ne plus faire qu’une seule et unique place par jour pour éviter de colporter le virus d’écurie en écurie. Immersion au cœur du monde équestre qui a dû s’adapter, malgré lui. 

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Photos Mathilde Lechien (CC BY NC ND)

La Belgique sort très prudemment d’une longue période de confinement. Mais pour certains professionnels, le recours au télétravail est tout simplement impossible. C’est notamment le cas des maréchaux-ferrants. Parmi ceux-ci, Franck Lemye, qui a légèrement modifié ses conditions de travail pour continuer le parage et le ferrage des chevaux. Ou encore Didier Thiebaut, professeur à l’école de maréchalerie de Libramont, ostéopathe équin et maréchal-ferrant expérimenté, qui a décidé de ne plus faire qu’une seule et unique place par jour pour éviter de colporter le virus d’écurie en écurie. Immersion au cœur du monde équestre qui a dû s’adapter, malgré lui. 

Photos Mathilde Lechien (CC BY NC ND)

Mons, il est 9h15. Il fait frais, le soleil commence à pointer le bout de son nez. À l’arrière de sa camionnette noire, Franck enfile son imposant tablier en cuir brun qui va permettre de protéger ses membres inférieurs. Sa jeune apprentie allume, elle, la forge à gaz, indispensable quand ils sont sur le terrain. « L’avantage, c’est que je travaille à l’extérieur, je ne suis pas confiné comme beaucoup de Belges. » Le maréchal-ferrant s’estime chanceux de pouvoir continuer son activité professionnelle en période de confinement. « Ce n’est pas comme mon épouse qui est employée dans une banque. Certains jours, elle doit se rendre à son bureau pour rencontrer des clients qui avaient pris des rendez-vous importants. Mais le reste du temps, elle est bloquée à la maison avec les enfants. »

Le gaillard de 35 ans travaille dans ce domaine depuis l’âge de 18 ans. Avec un père employé dans les bureaux d’une entreprise montoise et une mère au foyer, rien ne prédestinait Franck Lemye à être maréchal-ferrant : « Je voulais être chômeur, je voulais vraiment ne rien faire de ma vie (rires). » En plein décrochage scolaire, ses parents l’inscrivent dans un établissement CEFA. Pas convaincu ni attiré par cette formation, il intègre pourtant l’École des Métiers du Cheval de Ghlin. Depuis, il n’en démord pas : « C’est devenu ma passion. J’en rêve la nuit, et parfois même, je n’en dors pas. »

En raison du confinement imposé par notre gouvernement, le maréchal-ferrant a dû, malgré lui, adapter ses conditions de travail. « Pour ma sécurité et aussi celle de Fiona, mon apprentie, j’essaie de mettre des limites lorsque l’on se rend chez des clients. Je demande que les chevaux soient préparés et longés avant mon arrivée sur place afin qu’il n’y ait personne autour de l’animal. On évite le plus possible les contacts avec l’homme »se soucie-t-il. Force est de constater que certains citoyens refusent d’appliquer les mesures prises pour éviter la propagation du coronavirus. « Certaines écuries prennent des dispositions. Dans ces cas-là, ça va. Mais d’autres, pas du tout. La semaine dernière, on a été dans un manège qui ne respectait rien. Il y avait un regroupement de 10 personnes autour de la piste d’équitation. Je n’ai pas eu d’autre choix que de m’énerver avec la propriétaire. »

L’appel au bon sens 

Malgré la fermeture des manèges, le report des concours hippiques ou encore l’arrêt des courses, les propriétaires continuent d’appeler leurs maréchaux-ferrants. D’un côté, les plus inquiets pensent au bien-être, aux soins particuliers et continus que demandent leurs bêtes. De l’autre, les égoïstes veulent profiter du bon temps pour faire des balades alors que cela n’est pas forcément indispensable pour la santé de l’équidé. Ceux-là sollicitent le maréchal-ferrant pour qu’il vienne au plus vite « faire les pieds ». Une situation plutôt complexe qui a tendance à diviser les professionnels du monde équestre. 

« Je ne peux pas arrêter de travailler du jour au lendemain. Mon passage est indispensable pour le bien-être du cheval. »

Franck Lemye

Franck sort la forge nichée dans son fourgon, frappe le fer et va l’apposer sur le sabot du cheval. Dos courbé, le pied du cheval coincé entre ses jambes, Franck fixe les derniers clous. Après une heure de travail, le maréchal-ferrant montois et son apprentie reprennent la route, direction le prochain client. Pour lui, il est hors de question de stopper son activité : « Je ne peux pas arrêter de travailler du jour au lendemain. Mon passage est indispensable pour le bien-être du cheval. » Contrairement à certains collègues qui ne se déplacent plus que pour les urgences, lui insiste sur le fait qu’il doit répondre à ses obligations professionnelles. 

À l’Union Nationale des Patrons Maréchaux-Ferrants de Belgique, on communique timidement sur le sujet « coronavirus ». On demande aux professionnels équins de se limiter aux interventions strictement indispensables. Nombreux sont les maréchaux-ferrants qui craignent la dangerosité du virus. Didier Thiebaut, également professeur à l’école de maréchalerie de Libramont et ostéopathe équin, est l’un d’entre eux. Il préfère faire une pause dans son agenda chargé pour ne pas prendre le risque de contaminer les membres de sa famille. Membre actif de l’Union depuis plus de 20 ans, il fait appel au bon sens de ses confrères et insiste sur la pertinence du confinement pour ne pas propager le virus. « Pour le Covid-19, il faut se référer à ce que les scientifiques disent. On apprend que le virus est viable pendant plusieurs heures sur n’importe quelle surface. Imaginons une personne asymptomatique qui possède un cheval. Elle va forcément envoyer des particules sur le licol, la couverture, et même sur son pelage. Ces particules-là sont viables quelques heures », développe-t-il. « Moi, maréchal ferrant, je vais dans l’écurie, je ne vois pas le/la propriétaire parce que je lui ai demandé de ne pas être présent. Mais je vais être au contact du cheval. En maréchalerie, il est impossible de ferrer un cheval sans le toucher. Donc, j’en ai sur ma chemise ou sur ma veste et puis, je vais dans l’écurie suivante. Et bien, c’est simple : je dépose les particules chez le propriétaire suivant qui va peut-être contracter la maladie. » 

Grâce à son expérience dans le milieu et son intérêt pour le virus, Didier n’hésite pas à conseiller les collègues qui se tournent vers lui. Son avis est honnête et mesuré : ne faire qu’une seule et unique place par jour pour éviter de colporter le virus d’écurie en écurie. Il est convaincu que les maréchaux-ferrants sont, malheureusement, et malgré eux, de par leur équipement et leur présence sur le terrain, de parfaits vecteurs pour le coronavirus. Il précise tout de même qu’ils ne doivent se déplacer que pour des raisons urgentes qui nécessitent une intervention immédiate pour éviter tout impact sur la santé du cheval. S’il y a bien un point sur lequel Franck et Didier sont d’accord, c’est le fait qu’on ne peut pas laisser l’état de santé des chevaux se détériorer. 

Ferrage vs Parage 

L’arrêt de l’activité de maréchalerie ne peut évidemment pas se prolonger indéfiniment. La technique du ferrage consiste à placer un fer sous le pied du cheval. Généralement, cela se fait tous les deux mois environ. Une fois ce délai dépassé, l’animal est en fin de ferrure et a les « pieds longs ». Plus encore que la ferrure, c’est le parage qui compte. C’est l’étape obligatoire avant le ferrage. Cependant, certains chevaux n’ont pas forcément besoin de fers. Le maréchal-ferrant les pare pour adapter les aplombs et éviter la cassure ou la fissure du sabot. La technique du parage consiste, elle, à redonner forme au pied tout en rectifiant les défauts de la corne qui pousse de façon continue et inégale. 

Même s’ils restent rares, certains effets néfastes peuvent apparaître au fur et à mesure que le pied pousse. On parle ici de légers boitements, de tendinites, voire d’arthrose à long terme. Un cheval en fin de ferrage ne représente pas une urgence. Si l’équidé n’est plus capable de travailler, il suffit de le mettre au repos et son pied ne s’abîmera pas davantage. Et lors de son prochain passage, le maréchal-ferrant recoupera les pieds et fera ce qu’il faut pour que le cheval « redémarre ». La situation est plus problématique lorsque les chevaux qui ont des pathologies perdent un fer. Seul le maréchal-ferrant peut alors évaluer l’urgence d’une intervention.

Pour la majeure partie des propriétaires de centres équestres, il est important que le maréchal continue son activité pendant le confinement. « C’est essentiel qu’il se déplace pour les urgences ou les cas plus graves. L’intervention de mon maréchal-ferrant est indispensable pour les chevaux ferrés avec des fers orthopédiques qui peuvent garder de graves séquelles si les fers ne sont plus correctement ajustés », constate Vicky Mary, du Poney Club de Besonrieux. « C’est au cas par cas, je sais. Par exemple, pour nos poneys qui ne sont pas ferrés et qui peuvent rester en prairie, la maréchalerie n’est pas vitale. Ils n’usent pas beaucoup leurs sabots donc c’est normal. Je suis consciente que durant cette période si particulière, il faut faire avec. »

« Les plus respectueux de leur clientèle »

La profession de maréchal-ferrant, comme beaucoup d’autres, a dû s’adapter. Depuis l’entrée en vigueur des mesures liées au confinement, le passage du pédicure équin semble donc se faire de façon aléatoire d’un manège à un autre. Vicky affirme que le sien ne se déplace plus autant qu’avant, qu’il porte un masque et qu’il respecte la distanciation sociale. Et une seule personne peut l’accompagner lors de son passage

Pour Didier Thiebaut, les maréchaux qui ont décidé d’arrêter temporairement ou de diminuer crûment leur activité sont « les plus courageux et les plus respectueux de leur clientèle ». Il insistera beaucoup sur ce point. En faisant ce choix, ils font face à une clientèle parfois très peu compréhensive. L’un des principaux problèmes est l’impossibilité de répondre aux interrogations de leurs clients. « Les propriétaires de chevaux ne comprennent pas pourquoi certains maréchaux-ferrants leur disent non et d’autres oui. Ce n’est pas par pur plaisir évidemment, c’est pour protéger nos clients. Ceux qui ont pris cette décision de stopper leur activité prennent le risque de se battre contre leur propre clientèle et de la perdre », ajoute Didier. 

Pour la plupart indépendants, les marréchaux-ferrants à l’arrêt n’ont plus le moindre revenu. Ils sont alors obligés de demander des crédits passerelles ou d’autres types de revenus compensatoires. Même si des aides ont été promises, la crise du coronavirus et le confinement les touchent de plein fouet. Néanmoins, certains maréchaux conscients des difficultés liées au statut d’indépendant ont assuré leurs arrières en consolidant d’autres rentrées financières. C’est le cas de Franck Lemye qui est professeur en deuxième année de formation à l’École de maréchalerie de Ghlin où il donne cours depuis trois ans. « J’ai passé le CAP. T’imagines ? Moi qui détestais l’école et qui avais arrêté à l’âge de 16 ans. Il faut dire que des anciens collègues me l’avaient conseillé et puis, c’était une corde de plus à mon arc. Le gros avantage, c’est que le fait d’enseigner me permet aussi d’assurer mon avenir par rapport à la pension », motive-t-il. Par conséquent, son salaire de prof lui garantit un revenu et lui permet de « vivre correctement » en période de confinement. 

« L’après crise » inquiète

Certains professionnels du monde équestre regrettent l’absence de directives claires de la part du gouvernement et décident de réguler leurs activités selon leur propre interprétation des règles. C’est notamment le cas des maréchaux-ferrants belges qui, comme l’explique Didier Thiebaut, doivent se référer aux consignes générales. « On aurait préféré en recevoir mais pourtant il n’y en a pas pour la maréchalerie. C’est un cas tellement particulier que je comprends que le gouvernement ait autre chose à faire que de s’en occuper. On est donc repris sous des consignes générales. Évidemment, reste à savoir quelles sont les activités indispensables ou pas. Et l’interprétation des consignes gouvernementales varie d’une personne à l’autre et ça pose donc aussi problème à ce niveau-là. »

D’autres secteurs sont mieux aidés et renseignés pendant cette période de confinement. Différents secteurs particuliers ont la chance d’avoir une instance professionnelle qui est active et efficace en interprétant les mesures de confinement. La ligne de conduite est plus claire pour tout le monde. À l’image des propriétaires de centres équestres, comme Vicky Mary, qui peuvent s’informer auprès de la Ligue Équestre Wallonie Bruxelles. Cette fédération qui compte plus de 37.000 membres suit quotidiennement et de très près les mesures émises par le Conseil National de Sécurité, le SPF Santé, et le Ministère des Sports de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle transpose les directives au monde équestre en faisant preuve de bon sens mais en n’imposant rien du tout. 

Au Poney Club de Besonrieux, Vicky et sa mère ont très vite pris leurs dispositions. Fermeture immédiate de l’établissement et annulation des cours et stages planifiés. Tout est une question d’organisation. « Comme les rassemblements ont été interdits, on a établi un planning avec des horaires spécifiques pour chaque propriétaire. Il ne peut y avoir que deux cavaliers par tranche de deux heures. Ils s’occupent de leurs chevaux et s’en vont directement. On demande à ce qu’il n’y ait qu’un seul cavalier par cheval, sauf pour les mineurs qui peuvent être accompagnés d’une personne uniquement », explique la jeune femme. 

Entre l’éventuelle perte de clients qui ne comprennent pas les mesures mises en place et les urgences qui s’accumulent, Didier Thiebaut confie être préoccupé par cette situation invraisemblable qui touche le monde entier. « On accumule une somme de travail énorme. À la reprise, ça va être l’enfer. Je peux vous dire qu’on va souffrir. La liste d’attente des chevaux à ferrer ou à parer ne fait qu’augmenter. Je connais certains collègues qui ont une liste d’attente de plus de 100 écuries. Ça va être la catastrophe intégrale. L’après-confinement va être épouvantable en termes de gestion du planning. »

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