En 2022, plus de 40 000 migrants ont tenté la traversée de la Manche. Certains réussissent, d’autres échouent et puis il y a ceux qui y laissent la vie. Pour mettre des visages derrière ces chiffres, je suis parti à Calais.
Photos : Max Romain
Il pleut, il fait froid, mais Yassine ne perd pas espoir. Il loge dans un camp de réfugiés à l’Est de Calais et son rêve est de rejoindre l’Angleterre. Après la Méditerranée, il veut maintenant s’attaquer à la traversée de la Manche. Dans le Nord, la mer n’est pas clémente, de nombreuses personnes y perdent la vie chaque année. En plus, Yassine n’a pas l’argent pour payer un passeur qui demande entre 1.500 et 3.500 euros. Mais il compte bien passer par l’Eurotunnel, agrippé à un camion.
Après une petite marche entre les champs et la forêt, je croise Kamal sur son vélo. Il me salue avec un grand sourire et j’en profite pour l’aborder. Il descend de sa monture, nous commençons à discuter. Kamal est réfugié dans un camp à proximité depuis 4 mois. Petit à petit, je commence à apercevoir des tentes entre les arbres, puis au bord d’un champ, une centaine d’entre elles. Il y a un fossé à l’entrée du camp, il m’explique que la municipalité l’a creusé pour empêcher les organisations humanitaires d’apporter de la nourriture.
En 2016, la Jungle de Calais a été démantelée par l’État français. Plus de 10 000 immigrés ont été contraints de quitter le bidonville du jour au lendemain. Aujourd’hui rien n’a changé. Les migrants sont toujours là et l’État continue de les harceler en procédant à des expulsions à répétitions.
Malgré le froid, certains sortent de leurs tentes pour m’accueillir, la présence de Kamal a dû jouer en ma faveur. Ce camp nommé « Old Lidl » est composé principalement de Soudanais, tous des hommes. Je m’installe au bord d’un feu. Ils me parlent de leurs familles et de leur histoires. Je suis étonné par la qualité de leur anglais, la plupart parlent mieux que moi. « Ce qui me manque le plus du Soudan, c’est ma femme et mes enfants. Mais aussi le soleil et la chaleur du pays. Ici, il ne fait que pleuvoir, mes vêtements sont toujours mouillés » soupire un ami de Kamal. Notre conversation est interrompue par un membre de l’association « Le WoodYard » qui vient apporter un sac de buches.
À Calais, de nombreuses associations aident les occupants des camps en apportant de l’eau, de la nourriture, des vêtements, des tentes, du bois et encore d’autres biens essentiels. Ce soutien précieux pour les migrants est décrié par l’État français qui pratique une doctrine de « zéro point de fixation ». La police de Calais procède à des expulsions environ toutes les 48 heures, au cours desquelles elle saisit tout leur matériel (tente, vêtements, téléphone, etc.) et les oblige à quitter les lieux. Cette politique est basée sur la crainte du phénomène de « l’appel d’air », autrement dit le risque qu’une politique trop généreuse attirerait automatiquement de nouveaux migrants.
La pluie s’intensifie, mais nous restons au coin du feu. Parfois, de longs silences s’immiscent dans la conversation. J’en profite pour bien observer tous ceux qui croisent mon regard. Certains sont bien équipés, d’autres n’ont ni veste, ni chaussures. Finalement, j’en viens à leur poser une question plus personnelle. Pourquoi absolument vouloir rejoindre l’Angleterre ?
Yassine me répond au nom du groupe : « Nous sommes arrivés par l’Italie ou la Grèce, nos empreintes sont là-bas. À cause du règlement de Dublin, ce sont les seuls pays de l’UE où nous sommes autorisés à faire une demande d’asile. Mais nous sommes bien conscients que nous n’avons aucune chance dans ces pays-là, alors notre dernier espoir, c’est l’Angleterre ».
Telle est l’Europe dans sa complexité contemporaine. Reste l’Angleterre qui malgré le Brexit, continue de faire rêver de dizaines de milliers de migrants prêts à tout pour tenter une nouvelle vie de l’autre côté de la Manche.
Pendant le repas, il s’arrête enfin de pleuvoir. Le soleil est en train de se coucher et le ciel devient rouge vif. Tous les migrants sortent de leurs tentes et profitent du spectacle. Un moment de répit, pour oublier le temps d’un instant les froides nuits d’hiver qui s’annoncent.